L’homme qui scrute l’empreinte carbone du nouveau métro
© Société du Grand Paris / Armand Wattel
© Société du Grand Paris / Armand Wattel
CarbOptimum est un sujet pointu qui méritait bien une explication avec l’un de ses concepteurs, Pierre-Yves Ancion.
Conçu spécialement pour suivre l’empreinte carbone du Grand Paris Express tout en s’inspirant des éléments méthodologiques développés par l’ADEME ou d’autres méthodologies internationales telles que le Greenhouse Gas Protocol, l’outil, qui prend la forme d’un grand tableur, tient sur une simple clé USB. Son paramétrage, qui nécessite d'introduire de nombreuses hypothèses, éclaire les décisions prises par la Société du Grand Paris et évalue leurs impacts sur l’environnement. Et ce depuis 2012, bien avant le démarrage des travaux.
Directeur d’études chez STRATEC, Pierre-Yves Ancion arrive de Bruxelles à la gare du Nord. Plutôt que de prendre les transports en commun, notre homme marche une heure jusqu’à la Fabrique du métro, à Saint-Ouen. Au fil de ses pas, l’expert en aménagement du territoire observe la ville : le Paris intramuros dans ses élégants habits haussmanniens, et le Grand Paris, en complète reconfiguration.
Pierre-Yves Ancion a toujours eu une conscience aigüe de l’environnement, tel un sanctuaire à préserver. Dans quelles proportions l’homme dénature-t-il son écosystème ? Une question prégnante en Belgique où la densité de population est trois fois supérieure à la France. Il a grandi à la campagne et passerait bien toute sa vie au dehors, au milieu du vert de la végétation et du bleu de l’eau. Mais que ce soit à l’extérieur ou dans son bureau, il ne lâche pas le fil rouge de sa carrière : évaluer les incidences humaines sur l’environnement.
C’est à Auckland, en Nouvelle-Zélande, que l’ingénieur de formation a passé sa thèse qui portait sur la mesure des pollutions des rivières, principalement en milieu urbain. Pendant quatre ans, il a affûté sa réflexion, observant des habitants qui vivent essentiellement à l’extérieur. « Les Néo-Zélandais profitent de leurs jardins, sont nombreux dans les parcs, ils font du rugby et de la voile en toutes saisons… Et restent finalement assez peu à l’intérieur. Là-bas, j’ai compris que la lumière représentait un besoin pour tous… Et pas seulement pour moi ! » Pierre-Yves Ancion note aussi la limite de ce modèle, résolument énergivore. Les Néo-Zélandais aspirent au pavillon à l’américaine, des volumes amples qui favorisent les déperditions énergétiques et l’artificialisation des terres. Sans parler de l’étalement urbain, une organisation spatiale qui repose sur la voiture. Heureusement, la densité de population y est six fois moindre qu’en France. En outre, l’île étant volcanique, elle peut compter sur la géothermie, une formidable source d’énergie.
L’Europe ne bénéficie ni d’espaces aussi vastes ni d’une géologie aussi généreuse. Il est donc primordial de freiner l’artificialisation des terres et le recours aux énergies fossiles. L'heure est à la sobriété. Des voix se font entendre pour questionner ces étendues pavillonnaires. Pierre-Yves Ancion reste pourtant convaincu des bienfaits de l’extérieur et de sa luminosité, en particulier dans les pays où elle est rare. Mais alors, comment vivre dans un cadre agréable et lumineux sans recourir au pavillon énergivore ? C’est ici qu’interviennent le projet du Grand Paris Express et CarbOptimum.
Pierre-Yves Ancion a accompagné l’aventure du Grand Paris depuis les prémices. Quand le nouveau métro n’était qu’un plan sur papier, on a voulu doter le projet d’un instrument de mesure du carbone. « Dès 2009, l’étude environnementale stratégique a servi de prise de conscience : ce projet était d’une telle envergure qu’en évaluer le bilan carbone allait être très difficile, raconte l’ingénieur. Dans notre benchmark, on a réalisé qu’aucun outil existant ne convenait. On l’a donc développé spécifiquement. Pour une infrastructure de transport, cet exercice de bilan des émissions de gaz à effet de serre est le plus poussé qui existe. » En 2012, un premier bilan a été effectué à partir de données prévisionnelles. Mais on ignorait alors, par exemple, quel type de béton serait employé. Quand les travaux ont commencé, des données réelles ont été réinjectées et le bilan a été mis à jour. D’ailleurs, les maîtres d’œuvre sont mis à contribution pour remplir quelques-unes des 1500 lignes de CarbOptimum.
Dans un premier temps, le nouveau métro, comme n’importe quel chantier, rejette du CO2 dans l’atmosphère. C’est en grande partie dû au béton nécessaire à la construction des tunnels et des gares, même si tout est entrepris pour limiter les émissions : la Société du Grand Paris a encouragé l’innovation tous azimuts, et l’usage du béton fibré ou des matériaux bas carbone découle de ce volontarisme. Dans un second temps, une fois le métro mis en service, les émissions de carbone seront évitées de manière très significative. Tant et si bien que la balance entre les émissions de CO2 produites et celles évitées annonce un bénéfice de l’ordre de 14,2 millions de tonnes de CO2 en 2050, selon un scénario prudent.
Dans ces projections figurent les voitures qui resteront au garage au profit du métro. Mais on sait aussi, grâce à CarbOptimum, que la majorité des économies de carbone se fera ailleurs.
Pour le comprendre, Pierre-Yves Ancion nous mène dans l’écoquartier face à la Fabrique du métro. Ici, à proximité de la récente station Mairie de Saint-Ouen, sur la ligne 14 dont le prolongement vers Saint-Denis-Pleyel est en cours, on a densément construit des immeubles au pied d’un parc immense. Souvent équipés de terrasses ou de balcons, les nouveaux bâtiments sont conçus de manière à y introduire la lumière. « Une personne qui dispose du métro à côté peut se passer d’une voiture et prendre occasionnellement un véhicule partagé pour se rendre chez Ikéa, décrypte le directeur d’études. Elle va accepter de vivre dans un habitat plus petit mais bien isolé et n’aura pas besoin de jardin grâce au grand parc en bas. Et elle bénéficiera de la proximité des emplois, des équipements et des commerces. » C’est parce qu’il va dans le détail que CarbOptimum a permis cette analyse globale de la ville, qui va au-delà du métro.
Pierre-Yves Ancion, créateur du CarbOptimum
© Société du Grand Paris / Armand Wattel
Construire une nouvelle gare ne suffit pas, ni même 68, si elles ne s’accompagnent pas d’une dynamique urbaine bien cadrée. C’est cet enjeu qui se joue dans les quartiers de gare, le long des lignes 15, 16, 17 et 18. Une vie facilitée avec l’arrivée du métro dans des écoquartiers denses, mixtes, et de la verdure en bas de chez soi, en alternative au pavillon qui impose le recours à la voiture individuelle et qui concourt à l’étalement urbain.
Les yeux rivés sur l’impact des travaux et les projets d’aménagement qui émergent, le père de CarbOptimum calcule, année après année, la trajectoire carbone du nouveau métro. Mais attention, prévient-il, à ne pas nous reposer exclusivement dessus. « Chacun doit se retrousser les manches. Ce projet permettra d’économiser chaque année entre 700 000 et un million de tonnes d’équivalent CO2. C’est important, certes, mais loin d’être suffisant pour atteindre les objectifs nationaux en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Grand Paris Express ne pourra pas résoudre tout à lui tout seul, il doit initier un changement de comportement plus large des Franciliens. »
C’est sans doute pour cela que Pierre-Yves Ancion considère qu’on ne pourra pas faire l’économie d’un changement systémique qui engloberait la manière de se déplacer et de voyager, mais aussi de se loger ou de se nourrir… L’ingénieur engagé réfléchit depuis longtemps au réchauffement climatique et aux moyens de l’enrayer. Il était déjà catastrophé à l’époque insouciante où l’on observait ce péril de loin. « Dès le début des années 2000, on avait déjà énormément de preuves, se rappelle-t-il. Les scientifiques tiraient la sonnette d’alarme, mais leurs cris ne rencontraient que peu de répondant dans l’opinion ». Il s’avoue aujourd’hui agréablement surpris par les progrès de la sensibilisation. Le sujet nourrit désormais les conversations, il figure aussi dans les choix politiques. « Etonnamment, je suis moins pessimiste qu’il y a 20 ans, confie notre expert. A l’époque, je ne pensais pas qu’en 2020 on arriverait à infléchir nos émissions de gaz à effet de serre, même de quelques pourcents ! »