Les empreintes humaines et végétales de la gare La Courneuve Six-Routes

Artiste derrière son œuvre
Chacune des 68 gares du nouveau métro accueillera une œuvre d’art pérenne, en harmonie avec l’architecture des lieux. Nous avons suivi le travail du plasticien Duy Anh Nhan Duc, dont l’œuvre Empreinte marquera la gare La Courneuve Six-Routes.

Connaissez-vous le parc départemental Georges-Valbon ? Situé à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, cet immense poumon vert est plus vaste que Central Park à New York. Ce parc joliment vallonné offre aujourd’hui le spectacle bucolique d’oies qui courent après les croutes de baguettes lancées par les enfants. Une quiétude bien loin de l’effervescence qui régnait en ce lieu quelques semaines plus tôt, quand la pelouse accueillait les concerts et les discours de la Fête de l’Humanité pour une dernière édition. Avec la future gare La Courneuve Six-Routes, cet écrin végétal de quelque 400 hectares sera enfin à la portée de tous les Franciliens.

Des lignes pour tisser un lien entre la nature et l’Homme

Cet automne, des promeneurs ont remarqué une présence inhabituelle. Des médiateurs habillés de gilets de chantier estampillés « Grand Paris Express » allaient à la rencontre des Courneuviens prélever leurs lignes de la main. À l’origine de cette initiative, organisée avec la complicité du Département de Seine-Saint-Denis et de la Ville de La Courneuve, on trouve l’artiste Duy Anh Nhan Duc qui travaille en tandem avec les architectes de la gare Pascale Dalix et Frédéric Chartier.

Ce n’est pas un hasard si la Société du Grand Paris a sélectionné le plasticien Duy Anh Nhan Duc. L’univers créatif de l’artiste est peuplé de végétal, en harmonie avec le parc à proximité et l’architecture de la gare. Il peut passer une journée à démêler délicatement des plants de trèfles pour ne pas en arracher les racines. « Dans mon travail, j’essaie de tisser un lien entre la nature et l’Homme, développe l’artiste. J’ai cherché comment créer ce liant entre la nature et les usagers du nouveau métro. » Pour accompagner la descente des usagers jusqu’aux quais, Duy Anh Nhan Duc évoque de manière poétique le contact avec le souterrain et les racines qui l’irriguent. Les racines qui représentent une composante essentielle dans un département concentrant une grande diversité culturelle. Le symbole unifiant la nature et l’humain lui est alors apparu comme une évidence. « Ce lien se ferait à travers la main, le moyen d’aller vers l’autre. Et chaque personne possède sa carte d’identité dessinée au creux de la main ». Naît ainsi l’idée de faire courir des racines dans la gare, inspirées des lignes de vie des promeneurs du parc. L’artiste est originaire d’Asie où « c’est très sérieux, les lignes suivent les trajectoires de vie, ça n’a rien à voir avec les diseuses de bonne aventure ou les boules de cristal… »

C’est la raison pour laquelle les médiateurs arpentent les allées du parc, échangeant avec plus de 200 participants. Avant d’aller à la rencontre de 160 élèves de l’école Louise-Michel, également conviés à se prêter au jeu en confiant leurs lignes de la main. Ces lignes des futurs voyageurs, aux trajectoires différentes, s’entremêleront sur le plafond de la gare, à la manière de racines. « Une œuvre vit mieux quand elle a interagi avec le public, souligne Duy Anh Nhan Duc. Quand on fait une sculpture, on impose sa présence. Moi, je voulais d’abord créer un lien… »

Des enfants enthousiastes pour donner leurs lignes de vie

Des enfants enthousiastes pour donner leurs lignes de vie

Tranches de vie dans un parc emblématique

Dans le parc, le public semble conquis par la démarche exposée par les médiateurs. Les mains levées, les enfants s’empressent de vouloir enregistrer leurs lignes. Le petit Liam, âgé de trois ans, ne se fait pas prier pour tendre sa petite main. En pause déjeuner, Marjorie, s’exclame : « je vais devenir une star, attendez que j’appelle mon agent avant de signer ! » Simone hésite, « elles sont vieilles, mes mains », avant d’accepter finalement de les tendre pour offrir ses lignes à la future gare.

Certains habitués qui connaissent le parc sous toutes ses coutures ne sont pas avares d’anecdotes que les médiateurs prennent le soin de noter. Jean-Claude raconte qu’Anémone et Michel Galabru se produisaient jadis ici, au théâtre en plein air. Il assure qu’un singe se serait échappé trois jours tandis qu’une hyène aurait erré ici plusieurs années. D’autres abondent en récits plus personnels, les premiers pas de leurs enfants, les parties de luge en hiver à l’aide de sacs plastiques. Autant de tranches de vie et tant de promenades. Claude l’assure, une balade aller-retour dans le parc peut s’étirer sur 2h30. Les contacts de chacun des participants sont conservés afin que Duy Anh Nhan Duc puisse pousser plus loin leur portrait et retranscrire leurs souvenirs liés à ce lieu emblématique.

Une riveraine qui raconte aux médiateurs ses liens avec le parc.

Une riveraine qui raconte aux médiateurs ses liens avec le parc.

Deux lignes de la main, deux lignes de métro

Duy Anh Nhan Duc, enfant, a grandi à proximité de Georges-Valbon qui était un peu son jardin. Pour créer son œuvre, il y revient à nouveau, monte dans les espaces les plus sauvages du parc, dans des petites friches ou sur les hauteurs où l’herbe n’est jamais tondue. Il y prélève des végétaux ou des graminées, le pissenlit étant sa graine de prédilection.

Ces plantes seront intégrées dans les parois vitrées de la mezzanine de la future gare, où un éclairage en magnifiera la beauté. Mais loin de l’artiste l’idée de transformer la gare en musée de sciences naturelles.

« On parle tout le temps de la perte de la biodiversité, de préservation des espaces verts, mais il est impossible de se connecter à la nature sans connaître le plaisir de marcher pieds nus dans l’herbe, s’anime-t-il. Je veux créer des œuvres où parents et grands-parents aient une expérience sensible et pas uniquement visuelle. » Une invitation lancée aux adultes pour redécouvrir le plaisir simple des enfants, qui se lient instinctivement à la nature en montant aux arbres ou en comptant les feuilles de trèfles.

L'artiste devant une de ses œuvres.

L'artiste devant une de ses œuvres.

En quittant l’artiste, une question nous brûle les lèvres. Que lit Duy Anh Nhan Duc dans ses propres lignes de vie ? Chose peu ordinaire, seules deux lignes sont dessinées au creux de la main gauche. « On me dit que ma ligne de vie et ma ligne de travail n’en font qu’une, très longue et très nette.  Mon travail sera ma vie ! Ça m’a renforcé pour que je continue dans cette voie d’artiste. » Est-ce un hasard ? Deux lignes du Grand Paris Express, les 16 et 17, passeront justement à La Courneuve Six-routes

En attendant la mise en service de la gare La Courneuve Six-Routes, on peut découvrir le travail de Duy Anh Nhan Duc au musée Guimet, à Paris, de novembre 2021 à février 2022.

Des racines inspirées des lignes de vie

Des racines inspirées des lignes de vie