Œuvres d’art du nouveau métro : métamorphose aquatique pour la gare Les Ardoines

Tandem artiste / architecte : atelier de travail à la Fabrique du métro
Les 68 gares du Grand Paris Express accueilleront chacune une œuvre d’art pérenne, fruit d’une collaboration entre un artiste et un architecte. Récemment, l’artiste Hicham Berrada et Jules Ayraud, architecte au sein de l’agence Valode & Pistre, se sont retrouvés à la Fabrique du métro pour un atelier de travail. Objectif : trouver la juste place pour mettre en valeur l’œuvre associée à la future gare Les Ardoines.

Hicham Berrada scrute minutieusement le prototype grandeur nature du futur quai du Grand Paris Express. « C’est la première fois que je viens à la Fabrique du métro », confie l’artiste qui travaille depuis deux ans sur l’œuvre imaginée pour la gare Les Ardoines. « Je m’attendais à un quai un peu plus large, offrant plus de recul entre le mur et les voies » ajoute-t-il, pendant que le maître d’œuvre, l’architecte Matthieu Paillard, prend les mesures.

Car le moindre centimètre compte pour Hicham Berrada. Et pour cause : la conception de son œuvre d’art en dépend. « Venir sur place pour évaluer précisément les dimensions offre l’occasion de se remettre en question et de se diriger vers des technologies plus appropriées. Si je maintiens la mise en place d’un grand écran sur le quai avec si peu de recul, la résolution de l’image devra être exceptionnelle » affirme-t-il en se tournant vers Vincent Taurisson, un ingénieur-conseil en scénographie qui l’accompagne.

La gare comme terrain d’expérimentation scientifique

L’œuvre d’Hicham Berrada repose en effet sur un dispositif ambitieux. « Artiste – laborantin », ses créations mêlent art et transformations chimiques. « Dans un contenant fermé, tel un aquarium ou un terrarium, je crée des conditions pour qu’une image apparaisse et se développe en influant sur des facteurs physiques comme le contrôle de la température ou, dans le cas présent, en modulant un courant électrique dans l’eau… C’est une façon de sculpter ou de peindre le réel par la connaissance du réel lui-même », explique celui qui collabore régulièrement avec des physiciens et des laboratoires de recherche scientifique. « Ces actions génèrent des formes, des volutes, des modifications de matière. Leur survie, leur quantité ou encore la vitesse à laquelle elles se déplacent dépendent de calculs précis et des outils scientifiques mis en place. »

Hicham Berrada, "artiste - laborantin"

Hicham Berrada, "artiste - laborantin"

La corrosion sera au cœur du projet artistique prévu par Hicham Berrada pour la gare Les Ardoines : « L’idée est de filmer le processus de vieillissement par électrolyse d’une maquette en bronze représentant une coupe architecturale de la gare plongée dans un aquarium. La quantité de courant, l’électro-conductivité et la température de l’eau ainsi que la composition chimique du bronze utilisé seront les principaux paramètres à contrôler. Un dialogue avec un corrosionniste ou une entreprise spécialisée dans l’électrolyse industrielle sera prochainement engagé pour déterminer le temps que mettra la maquette à se désagréger. » Continuellement filmé par des caméras, le contenu de l’aquarium sera projeté en direct sur plusieurs écrans installés dans la gare. L’artiste joue sur les échelles en déployant cinq écrans de petit format, placés au niveau -1, qui diffuseront le contenant dans sa globalité, tandis que deux grands écrans, situés sur les quais, permettront d’observer de manière immersive  un agrandissement de la réaction chimique provoquée par l’électrolyse.

Un travail évolutif en tandem

Toujours en cours d’étude, ce projet artistique évolue en permanence au fil des discussions avec Valode & Pistre, l’agence d’architecture en charge de la conception de la gare Les Ardoines, avec lequel Hicham Berrada forme un tandem. « À l’origine, je souhaitais placer ce grand aquarium directement dans l’enceinte de la gare. Les phénomènes de corrosion créés dans l’eau seront assez subtils et je voulais que les visiteurs soient complètement immergés dans cette œuvre aquatique. Mais une telle installation n’était finalement pas envisageable à cause du poids qu’elle représentait », reconnait l’artiste, qui s’interroge toujours sur la pertinence du placement des écrans sur le quai. Attentif à ses remarques, l’architecte Jules Ayraud lui confirme qu’il n’est pas possible de les installer ailleurs à cause de leur taille, mais lui précise que le quai de cette gare sera plus large de 50 cm.

Au centre, Jules Ayraud, architecte de l'agence Valode & Pistre

Au centre, Jules Ayraud, architecte de l'agence Valode & Pistre

Également évoquée par l’artiste lors de précédentes réunions de travail, l’installation dans la gare de plusieurs petits aquariums n’était pas non plus envisageable à cause des contraintes techniques liées à leur maintenance. « Un aquarium doit être placé à proximité d’une arrivée et d’une sortie d’eau, élément indispensable pour compenser l’évaporation et réaliser le nettoyage. Le local technique situé à proximité du seul emplacement qui était disponible pour les accueillir en est malheureusement dénué » constate Hicham Berrada, qui soulève également la question de l’évacuation de l’air. « Le lieu qui les accueillera devra être assez ventilé et, bien sûr, apte à supporter le poids si on repart sur l’idée d’un seul aquarium de grande taille. Plusieurs endroits sont aujourd’hui à l’étude, dont un musée. Délocaliser l’objet de la captation dans un espace culturel aurait du sens. En incitant les usagers du métro à se rendre au cœur même de la source qui l’alimente, cette œuvre créerait ainsi un lien entre la gare et le territoire. »

Ainsi va le processus de création ! Mais Hicham Berrada n’est pas le seul artiste actuellement en pleine réflexion. Déjà 36 artistes ont été retenus pour travailler en lien avec les architectes. Intégrées à l’architecture des gares, leurs œuvres d’art contribueront à la constitution d’un patrimoine artistique du XXIe siècle amené à marquer l’identité du nouveau métro à l’échelle du Grand Paris, et à accompagner les deux à trois millions de voyageurs qui l’emprunteront chaque jour.