Des archives orales pour éclairer l’histoire du Grand Paris Express

Portrait de Arnaud Passalacqua, historien du nouveau métro
Ingénieur et historien, Arnaud Passalacqua enseigne à l’École d’urbanisme de Paris. Il est aussi le secrétaire scientifique du comité histoire de la Société du Grand Paris. À ce titre, il supervise la campagne d’archives orales, actuellement menée par une géographe, une politiste et un historien. Ce trio réalise des entretiens auprès des témoins de la création du nouveau métro. Son objectif : documenter l’histoire du projet. Interview.

Pourquoi réaliser une campagne d'archives orales ? S'agit-il d'un processus courant ? 

Les archives orales permettent de réunir des sources pour des historiennes et historiens, des journalistes ou encore les personnels arrivants qui voudraient s’acculturer au projet et à la vie de l’entreprise qui en assure le pilotage. Les archives orales constituent une source parmi d’autres pour l’histoire, au même titre que des décisions d’un président du directoire signées et contresignées.

Les premières grandes campagnes d’archives orales se sont intéressées à la Shoah. Steven Spielberg a même financé une fondation pour en conserver une mémoire orale. Pour la Société du Grand Paris, une telle campagne représente une démarche assez originale, même si ça n’est pas la première fois qu’une société fait appel à ce type d’archives. La SNCF y a eu recours également, pour éclairer la naissance du TGV par exemple.

Ce qui est assez exceptionnel pour la Société du Grand Paris, c’est qu’elle documente un projet qui est en train de se réaliser. Ce projet a été engagé par Étienne Guyot, le deuxième président de la Société du Grand Paris. C’était le moment 2010, avec la loi lançant le Grand Paris : ses créateurs avaient alors une vision messianique, ils allaient transformer les mobilités et la ville. Le binôme décideur-technicien formé par Nicolas Sarkozy et Christian Blanc se voyait marcher dans les pas de deux autres : Charles de Gaulle et Paul Delouvrier et Napoléon III et Haussmann.

D’ailleurs, les archives de la période Haussmann ont disparu avec l’incendie de l’Hôtel de ville pendant la Commune. On dispose surtout de ses mémoires où il se met en scène. Avec Delouvrier, on a gardé des archives, et même des archives orales pour les villes nouvelles.

Comment vous y prenez-vous pour collecter ces archives orales ? 

Souvent, la tentation consiste à aller rencontrer les grands patrons : des présidents de collectivités locales, de la RATP, de la Société du Grand Paris ou des ministres… Mais nous voulions intégrer les gens de différents niveaux. Des personnes qui travaillent aux achats, des responsables juridiques, etc., qui ne sont pas forcément sous les feux de la rampe. Les témoins s’expriment avec une grande liberté de parole. On constate que certains  s’interrogent et peuvent même se montrer critiques sur certains choix réalisés, grâce à la confidentialité que nous garantissons. Des témoins sont encore dans le jeu, d’autres sont retraités. Quelques-uns peuvent avoir une revanche à prendre… De toute façon, il n’y a jamais de neutralité. Les historiennes et historiens le savent.

Sur la cinquantaine d’entretiens prévus, nous en avons déjà réalisé une quinzaine. Le processus est long. Au cours des entretiens préalables, témoins et enquêteurs cernent la question, défrichent un peu le sujet, mais pas tout, de manière à garder de la spontanéité lors de l’entretien enregistré. Et pour ce second rendez-vous, une équipe technique est présente et filme l’entretien. C’est le directoire qui a retenu le support vidéo. Cela favorisera indéniablement des exploitations futures de ces entretiens, au-delà du cercle scientifique.

L’idée est toujours la même : protéger pour mieux collecter.

Arnaud Passalacqua
Historien
illustration d'une femme lisant un livre sur un bâtiment

Justement, comment seront exploitées ces archives ? 

Elles apporteront un éclairage supplémentaire sur le projet. On disposera d’une base de données d’archives complémentaires à celles enregistrées par la Société du Grand Paris dans le cadre de ses obligations légales. On explore ainsi la création du Grand Paris Express. À l’origine, deux projets de métro se concurrençaient, celui de l’État et celui de la Région. On avait d’un côté le projet de Christian Blanc, avec peu de gares et des clusters éloignés de Paris. De l’autre, ce qui s’apparente un peu à la ligne 15, proche de Paris. Le Grand Paris Express d’aujourd’hui est une fusion des deux. L’un de nos objectifs est de comprendre ce qui s’est passé, sur la scène et dans les coulisses. Trop souvent, on résume le projet à une carte avec quatre traits bleus pour représenter les lignes. Alors que le Grand Paris Express, c’est bien autre chose ! Grâce à ces archives, on comprend les multiples facettes du projet : tensions politiques au début, relations État-collectivités locales par la suite, innovations dans le pilotage et l’ancrage du projet, travaux souterrains nombreux, etc. Le nouveau métro n’est pas un objet lisse et ça n’était pas le seul choix possible.

Bien sûr, on protège nos témoins pour récolter un maximum d’informations. Ces entretiens sont donc confidentiels. Chacun est libre de choisir de rendre son entretien public ou pas, en totalité ou en partie et en fonction d’un certain délai. C’est une démarche classique pour des archives : rappelons que les archives écrites classiques restent closes pendant 30 ans.

Aujourd’hui, seuls les membres du comité histoire ont accès à ces entretiens. Progressivement, des travaux de recherche porteront sur le Grand Paris et des chercheurs et chercheuses voudront accéder au centre de ressources qui sera en ligne, disponible grâce à des identifiants. Tel journaliste voudra écouter l’entretien de tel témoin. Tout dépendra alors des choix faits par le témoin : s’il a voulu que ses propos restent confidentiels, il faudra recourir à une autorisation exceptionnelle. L’idée est toujours la même : protéger pour mieux collecter.